Seuls deux textes du Nouveau Testament mentionnent l’onction d’huile en rapport avec la guérison : il s’agit de Marc 6.13, qui rapporte que lors de la mission des Douze envoyés par Jésus, ils « guérissaient de nombreux malades en les oignant d’huile » ; et de Jacques 5.14-16, qui donne un enseignement plus développé.
Avant d’étudier le texte de Jacques 5.14-16, il est nécessaire de situer cet enseignement dans l’ensemble de l’épître. S’il est quasiment impossible de définir le plan de cet écrit, bien des commentateurs en ont fait ressortir les lignes de forces, qui valent également pour l’onction des malades. Tous sont d’accord pour souligner l’aspect pratique des exhortations de Jacques, pour qui la foi doit s’exprimer par des œuvres concrètes. D’autre part, l’auteur recourt fréquemment à des expressions comme « frères », « parmi vous », « les uns les autres », qui soulignent avec force la dimension communautaire de la foi. Une troisième dimension, moins souvent mise en évidence, est celle de l’attente du Royaume de Dieu, exprimée notamment par l’invitation à prendre patience et à faire preuve de courage dans l’espérance de la venue du Seigneur (Jc 5.8). L’onction des malades s’inscrit dans cette triple dimension.
Le bénéficiaire et les administrateurs
Pour définir l’état de maladie du bénéficiaire de l’onction, Jacques fait appel à deux mots (v.14 et 15) : le premier caractérise la faiblesse qui accompagne toute maladie et le deuxième souligne la souffrance corporelle, la lassitude et l’impatience qui peuvent en résulter Il faut remarquer que le malade est conscient et qu’il a la possibilité de faire appel aux anciens. Quelle que soit la gravité de son état, l’épreuve de la maladie est souvent l’occasion d’une remise en question, d’où le besoin d’aide.
Le texte biblique laisse clairement entendre que le malade est un chrétien, appartenant à une communauté locale. « L’un de vous est-il malade… » (5.14). Alors que la maladie pourrait l’isoler, le retenir chez lui éloigné de la communauté, voire le contraindre à se replier sur lui-même, il est encouragé à se souvenir de son appartenance à l’Eglise en faisant appel à la prière de ses représentants.
Les administrateurs de l’onction sont les anciens, c’est-à-dire les responsables de la communauté chrétienne. Ils interviennent collégialement auprès du malade, non pas tant parce qu’ils seraient dépositaires de dons spirituels, tel celui de guérison, mais comme représentants de la communauté. Par leur démarche, toute l’Eglise dont fait partie le malade est présente à son chevet. C’est la raison pour laquelle il paraît important que la communauté soit informée de la démarche. Tandis que les anciens interviennent auprès du malade, les frères et sœurs sont associés par la prière.
La confession des péchés
« S’il a commis quelque péché, il lui sera pardonné » (5.15). Même si Jacques, à la tête de l’Eglise de Jérusalem, pourrait avoir manifesté une tendance judaïsante, il ne partage pas le point de vue traditionnel qui lie systématiquement la maladie à un péché particulier. Ici, l’état de péché n’est entrevu que comme une éventualité. La maladie peut être pour le malade comme pour l’Eglise et ses responsables une invite à réfléchir au sens de l’épreuve. Quand Jacques, dans son épître, mentionne le péché, il vise avant tout des fautes de relation, si bien que toute la communauté peut être concernée. Y aurait-il chez le malade mais également dans l’assemblée un manque d’amour, une rancune, un péché non pardonné sans pour autant qu’il soit la cause de la maladie ? Ce qui précède met en lumière la complexité de la situation de maladie, avec son cortège de questions et de remises en cause, auxquelles les anciens et la communauté ne peuvent être indifférents.
Comme le texte le suggère, il se peut que lors de la visite des anciens, le malade se trouve sous le poids du péché. Bien que la confession des péchés ne soit mentionnée qu’au verset 16, elle est ici sous-entendue. Aidé par la confession de ses péchés en présence des anciens, le malade entrera en possession du pardon de Dieu.
Le verset 16 invite à la généralisation communautaire du cas particulier. « Confessez vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris » (5.16). La solidarité qui lie les membres de la communauté est à double sens (voir 1Co 12.26). Le péché d’un seul peut avoir des conséquences pour l’ensemble des membres et vice versa, la maladie d’un membre peut être le symptôme d’une affection pathologique de toute l’Eglise. L’onction est donc une belle occasion, pour les anciens en particulier, d’ajuster leurs relations et d’approfondir leur unité.
L’onction d’huile
En Israël, comme chez les autres peuples de l’Antiquité, l’huile tient une place importante. C’est à partir de son usage ordinaire qu’on peut saisir sa signification dans la vie religieuse. S’oindre la tête d’huile constituait l’un des actes de la toilette quotidienne. On l’utilisait pour protéger sa peau des brûlures du soleil. On usait d’huile parfumée pour manifester sa joie. Mais l’onction revêt généralement un sens sacré : elle indiquait une mise à part pour le service. Trois catégories de personnes pouvaient recevoir cette onction sacrée : les sacrificateurs, les rois et parfois les prophètes.
Le Nouveau Testament emploie plusieurs verbes grecs différents pour « oindre ». Le verbe aleiphô, que l’on rencontre à huit reprises, désigne des pratiques profanes, telles que parfumer ou se parfumer. C’est ce dernier verbe qui est employé pour désigner l’onction des malades (en Mc 6.13 et en Jc 5.14).
Il est difficile d’arriver à des conclusions absolues concernant le sens de l’onction pratiquée sur le malade. Plusieurs y voient une pratique thérapeutique et considèrent l’huile comme un médicament. Pour soutenir leur point de vue, ils citent le bon Samaritain qui soigne le blessé avec du vin et de l’huile (Lc 10.34). A l’opposé il y a ceux qui considèrent l’huile comme un symbole du Saint-Esprit. Il paraît juste de considérer l’huile comme une aide pour la foi. Parce que l’on reconnaît à l’huile certaines propriétés thérapeutiques, elle a été choisie comme signe de la guérison. Jésus n’a-t-il pas choisi des éléments en rapport avec ce qu’ils devaient signifier en fixant son choix sur l’eau pour le baptême et sur le repas (le pain et le vin) pour la cène ? Concernant la pratique de l’onction, il n’y pas de règle absolue : tout dépend du sens qu’on donne à l’huile. S’il est un médicament, alors il paraît indiqué de l’appliquer sur le membre malade ; s’il est un symbole du Saint-Esprit, on l’appliquera plutôt sur la tête, comme cela se faisait dans l’Ancien Testament.
La prière
L’important, dans toute cette pratique, n’est pas l’onction, mais la prière. Alors qu’une seule mention est faite de l’onction d’huile, Jacques revient sur le thème de la prière à quatre reprises, en utilisant chaque fois une expression différente. De plus, le verbe qui exprime l’action d’oindre est un participe, ce qui signifie que ce geste accompagne la prière. Effectivement, c’est à la prière que sont faites les promesses : la prière de la foi sauvera le malade (v.15) ; la prière fervente du juste a une grande efficacité (v.16b) ; priez les uns pour les autres afin que vous soyez guéris (v.16a). On pourrait alors se poser la question de la nécessité de l’onction : la prière à elle seule ne suffit-elle pas ? Jacques prend soin de mettre en place un cadre dans lequel s’inscrira concrètement la solidarité de la communauté. La prière est précédée et accompagnée d’un geste, ou même de plusieurs gestes : la démarche du malade, la visite des anciens, et, finalement, l’onction proprement dite. Il suffit d’une demande émanant d’un malade pour que soit déclenché tout un processus. Trois expressions en rapport avec la prière retiendront l’attention.
La prière « sur » le malade (v.14) : faut-il déduire de cette expression que l’imposition des mains doit accompagner la prière pour le malade ? Une fois de plus les avis divergent. Alors que pour certains la pratique de l’imposition des mains ne fait aucun doute dans ce contexte, Calvin a une position plus réservée. Le réformateur pense qu’il s’agit d’une prière prononcée en présence du malade, à son chevet, et il précise : « Quand la personne pour laquelle on prie est présente, l’affection de prier est plus grande » (J. Calvin, Commentaires sur l’épître de Jacques, p. 739). Ce dernier point de vue paraît plus conforme au sens du mot grec rendu par « sur », sans parler des textes juifs relatifs à l’onction pratiquée en faveur des malades, qui ne mentionnent pas l’imposition des mains.
La prière de la foi (v.15) : cette expression est plus délicate. Jacques déclare, en rapport avec la prière de celui qui demande la sagesse : « Qu’il la demande avec foi, sans douter, car celui qui doute ressemble aux vagues de la mer agitées et soulevées par le vent. Qu’un tel homme ne s’imagine pas obtenir quoi que ce soit du Seigneur » (Jc 1.6-7). Avoir la foi, c’est demander sans douter. Est-il juste alors de dire, avec plusieurs serviteurs de Dieu engagés dans un ministère de guérison : « La volonté de Dieu est toujours de guérir » ?
D’une façon générale, on peut dire que toute vraie foi repose sur la Parole de Dieu (voir Rm 10.17). Malgré la place importante de la guérison dans la Bible, il ne s’y trouve pas de promesse absolue de guérison. Prier avec foi, c’est prier dans une soumission totale à la volonté du Père et dans la confiance sans limite en sa puissance. Le combat de la prière ne se limite pas à demander, mais doit viser à recevoir et à discerner la réponse de Dieu. La prière ne se limitera pas à la demande, au moment de la pratique de l’onction, mais accompagnera le malade dans la réception de la réponse divine et dans son acceptation. C’est jusque-là que conduit la démarche.
La prière fervente du juste a une grande efficacité (v.16) : il y a là encore une expression difficile à comprendre. Selon bon nombre de commentateurs, le résultat de cette prière dépendrait d’une certaine concentration spirituelle ou des dispositions plus ou moins ferventes de la personne qui prie. Il semble préférable de comprendre le mot traduit par « fervente » comme un passif, c’est-à-dire que la prière est couronnée de succès lorsqu’elle est rendue efficace par celui qui exauce la prière. La prière tire son efficacité du dynamisme que lui communique l’Esprit Saint (voir Rm 8.26-27). Jacques précise qu’il s’agit de la prière du juste, non pas de quelqu’un dont la conduite serait parfaite, mais de celui qui a été justifié par la grâce de Dieu et qui vit dans une juste relation avec Dieu et ses frères. La confession des péchés l’aura préparé à une telle prière.
Les effets de l’onction
Il lui sera pardonné (v.15) : cette première promesse est celle du pardon. Il n’est pas le résultat direct de la pratique de l’onction, mais est accordé en réponse à la confession des péchés et à la repentance. Les anciens peuvent aider le malade à entrer en pleine possession du pardon divin.
La prière de la foi sauvera le malade : le mot traduit par « sauvé » a un sens ambigu. Dans les évangiles et les Actes des Apôtres, écrits très proches de l’épître de Jacques, il est employé 27 fois pour parler de la guérison du corps, tandis que 32 fois il conjoint guérison et salut. « Va, ta foi t’a sauvé ! », déclare Jésus à Bartimée en le guérissant (Mc 10.52). Manifestement, Jésus fait allusion à la guérison corporelle et du même coup au pardon qu’il accorde en réponse à la foi (ce second sens est également soutenu par Lc 7.50 ; 8.48, qui ajoute : « Va en paix »). D’une façon générale, cependant, dans le contexte de la maladie, « sauver » est à mettre en rapport avec la guérison : il s’agit d’une promesse de salut pour le corps.
Le Seigneur le relèvera : tout comme l’expression précédente, celle-ci peut être comprise de plusieurs manières. Le verbe traduit par « relever » est très fréquemment utilisé pour parler de la résurrection, bien que les évangiles en fassent usage avec des sens différents (lever, se lever, susciter). A plusieurs reprises, Jésus donne à celui qu’il guérit l’ordre de se lever (Mt 9.25 ; Lc 7.14 ; 8.54 ; Jn 5.8). Ainsi, dans ce contexte de maladie, déterminant pour le choix du sens de « relèvera », il faut aussi entendre une promesse de salut pour le corps.
Alors que le pardon des péchés est accordé immédiatement au malade repentant (voir 1Jn 1.9), les promesses en rapport avec la guérison du corps doivent être comprises dans un sens eschatologique, mais d’une eschatologie inaugurée. Le Royaume de Dieu s’est approché par la venue de Jésus-Christ et le Saint-Esprit à l’œuvre au sein du peuple de Dieu en est la grande anticipation. La guérison peut se manifester déjà comme gage (Ep 1.14), comme prémices (Jc 1.18) ou comme arrhes (2Co 1.22 ; 5.5) de la guérison totale que manifestera l’avènement du Seigneur. Dieu peut permettre une guérison immédiate et miraculeuse, ou progressive, avec ou sans l’aide de médicaments. Mais il se peut aussi que l’état de maladie s’aggrave. Dieu peut alors accorder le soulagement des souffrances ou une force surnaturelle pour supporter l’épreuve dans la paix et la confiance.
La communauté : tout le verset 16 est une sorte de généralisation communautaire du cas particulier du malade. A moins d’une épidémie, on ne peut comprendre « guérir » dans un sens physique. Par le moyen de la confession, d’une relation rétablie les uns avec les autres par le Christ, la communauté chrétienne devient d’une certaine manière un lieu de guérison. L’obéissance à l’exhortation de Jacques 5.16 renouvelle toute la communauté et l’amène à connaître le salut de Dieu dans une dimension encore plus grande.
Les anciens : eux aussi, par l’exercice de leur ministère auprès des malades, seront amenés à demeurer vigilants quant à leurs relations réciproques et leur dépendance de Dieu. Et quand on sait toute l’importance que donne l’Ecriture aux autorités, on mesure mieux toutes les grâces et bénédictions qui reviennent à l’ensemble des membres d’une communauté quand elle est dirigée par un groupe d’anciens unis, sensibles à la direction de Dieu.
Ainsi comprise, la pratique de l’onction des malades, quels que soient ses effets immédiats et visibles, ne peut être qu’une bénédiction à la fois pour le malade et sa famille, la communauté et son collège d’anciens, en un mot, pour l’Eglise du Christ.
Marc Lüthi
Note
1 Christophe Paya et Bernard Huck (dir.), Dictionnaire de théologie pratique, Cléon d’Andran, Excelsis, 2011, p. 510-515.