« Pour une discipline de la grâce », par Jean-René Moret

Jean-René Moret lundi 18 mai 2015

La discipline dans l’Eglise locale n’a pas la cote ! Jean-René Moret, théologien et actif dans les GBEU, montre que, bien conçue, elle est source de vie dans une dynamique communautaire. A méditer.

La discipline d'Eglise est un sujet difficile à aborder et à vivre de nos jours (1). Par discipline d'Eglise, entendez tous les moyens par lesquels la communauté chrétienne encourage ses membres à croître, et plus précisément, ce que l'Eglise fait lorsqu’un de ses membres a un comportement qui n'est pas en accord avec l'Evangile.

Plusieurs difficultés s'opposent dans les temps actuels à ce que la discipline soit bien vécue. L'individualisme ambiant pousse à se méfier de toute « ingérence » d'un tiers ou de la communauté dans sa « vie privée ». La mobilité accrue permet de changer d'Eglise dès qu'une remarque ne convient pas et rend difficile de savoir à qui l’on a affaire. Mais la discipline d'Eglise a mauvaise presse même dans des Eglises qui confessent fièrement l'Evangile, parce que son rapport avec la grâce est mal compris. Certains s'opposent à la discipline parce qu'elle ressemble à un moyen de remettre les autres sous la Loi, au détriment de la « glorieuse liberté des enfants de Dieu ». D'autres pourraient prôner la discipline en pensant qu'elle compense un côté par trop chaotique de la grâce. Je soutiens que ces deux attitudes sont également erronées, puisqu’elles opposent la grâce et la discipline. Cela ressort à mon avis d'une mauvaise compréhension et de la discipline, et de la grâce. Il faut plutôt voir la discipline comme un moyen donné par Dieu pour actualiser la grâce dans nos vies, en utilisant pour cela la communauté chrétienne.

La grâce qui justifie et sanctifie

Une opposition entre grâce et discipline peut en particulier se faire jour si on sépare justification et sanctification. Tout chrétien devrait considérer la justification, c’est-à-dire la justice devant Dieu obtenue par le pardon des péchés, comme le fruit de la grâce. Certains pourraient cependant voir la sanctification, soit la transformation de notre comportement, comme quelque chose qui s'obtient « à la force du poignet », comme une réponse humaine à la grâce reçue en Christ. Dans cette perspective, réprimander un frère pour sa faute revient à lui imposer une exigence, à faire peser sur lui un poids supplémentaire, exiger de lui ce qu'il devrait faire de lui-même. Mais cette vision est fausse : la sanctification aussi est fruit de la grâce. C'est parce que le Christ vit en nous par son Esprit que notre comportement change. L’apôtre Pierre affirme par exemple : « Sa divine puissance nous a donné tout ce qui contribue à la vie et à la piété, en nous faisant connaître celui qui nous a appelés par sa propre gloire et sa propre force » (1 Pierre 1.3).

Nous avons vu la source de la transformation, mais il faut aussi prendre en compte sa valeur. Nous devons prendre au sérieux la malignité du péché, son caractère aliénant et asservissant. Le péché nous éloigne de Dieu, il nous éloigne de notre véritable identité, nous fait du mal et nous conduit à faire du mal aux autres. Dans ce sens, la sanctification n'est pas un paiement à faire à Dieu en retour de notre libération, mais elle fait partie de notre libération. Etre libéré de la culpabilité liée au péché est un élément essentiel de notre salut, mais être progressivement libéré de la puissance agissante du péché dans nos vies l'est tout autant. Bref, la lutte contre le péché fait partie intégrante de la mise en application de la grâce dans nos vies.

Le but de la discipline

Venons-en à la discipline. Dans Matthieu 18.15-22, Jésus parle de la démarche de réprimande face à un frère qui a péché. L'objectif de la démarche se trouve dans cette phrase : « S'il t'écoute, tu as gagné ton frère. » Le but n'est pas de punir un fautif, ni d’obtenir sur lui une supériorité, mais de le « gagner » en le tirant des filets du péché. C'est pourquoi ces enseignements sur la réprimande sont suivis de l'enseignement radical de Jésus sur le pardon. Le pardon présuppose ici une repentance et une reconnaissance de la faute, mais le but de la discipline est le pardon du fautif. Dans le même sens, dans 2 Corinthiens 2.5-11, l'apôtre Paul évoque un homme qui a fait l'objet d'une réprimande et qui semble avoir fait amende honorable. Paul exhorte l'Eglise à ne pas lui imposer de chagrin supplémentaire, mais au contraire à lui manifester son amour et à lui pardonner pleinement, pour ne pas laisser l'avantage à Satan. La réprimande a pour but de conduire à la repentance, et, lorsqu'elle a fait son effet, il ne faut pas prolonger une « peine », mais au contraire réintégrer au plus vite celui qui a fauté.

Galates 6.1-2 donne encore une bonne idée de la mentalité qui doit prévaloir. Il s'agit de ramener un frère qui s'égare, tout en gardant à l'esprit que l'on pourrait soi-même chuter. Ce n'est donc pas un esprit de supériorité qui sous-tend la réprimande, mais un souci d’amour mutuel. Nous sommes aussi appelés à porter les fardeaux les uns des autres, ce qui signifie que lorsque quelqu'un doit être remis à l'ordre, il faut aussi porter avec lui le poids de la difficulté ; réprimander n'est pas tout, il faut aussi accompagner. On entend parfois la démarche de discipline être remise en cause parce que « nous sommes tous pécheurs ». Dans l'esprit biblique, c'est au contraire parce que nous sommes tous pécheurs que nous pouvons avoir de la compréhension et de la sollicitude les uns pour les autres. Comme l'exprime le théologien allemand de la première moitié du XXe siècle, Dietrich Bonhoeffer : « Parce que le Christ nous a portés et acceptés, nous pécheurs, nous pouvons à notre tour porter et accepter les pécheurs dans son Eglise, fondée sur le pardon des péchés »(2).

***

Ainsi, la grâce est le fondement de la discipline : c'est en tant que pécheurs graciés que nous pouvons nous exhorter les uns les autres à la sanctification, sans que cela résulte d'un esprit de supériorité. La grâce est aussi le but de la discipline : en mettant le péché en lumière, la discipline amène à ce moment particulier où il pourra être reconnu et faire l'objet d'une repentance. C'est alors que le pécheur recevra un plein pardon.

La transformation du comportement est aussi un effet de la grâce, et la discipline ecclésiale est un des moyens par lesquels la grâce se manifeste en passant par la communauté chrétienne. Enfin, la grâce met une fin aux démarches de la discipline : la discipline n'existe pas pour elle-même, encore moins pour faire payer la faute à un frère, mais lorsque la discipline a produit la repentance, elle peut s'effacer pour faire place à la communion retrouvée.

Jean-René Moret

Cet article se base sur un article plus complet.

Note
1 Cet article est aussi disponible sur le site de l’association Evangile 21
2 Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire, Paris, Genève, Cerf, Labor et Fides, 1983, p. 104.

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