Demandeurs d’asile déboutés : les vols spéciaux sur la sellette

mardi 20 septembre 2011
En marge de la sortie en salles ce mercredi du film « Vol spécial » du cinéaste Fernand Melgar, Gabrielle Desarzens propose de mieux comprendre le rôle et les questions soulevées par l'observation de ces vols de renvoi de demandeurs d’asile déboutés. Le Président de Pro Helvetia, Mario Annoni, et l’ancien commandant de la police cantonale neuchâteloise, Laurent Krügel, viennent d’endosser cette fonction d’observateur sur vols spéciaux. A la demande de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS). Regards croisés sur fond de polémique autour de cet engagement assumé par la FEPS.
La fonction d’observateur sur les vols spéciaux qui rapatrient les demandeurs d’asile déboutés n’a rien d’une sinécure. Dans le jargon de l’Office des migrations (ODM), les vols spéciaux dits « de niveau 4 » signifient que les personnes renvoyées sont totalement entravées, parfois casquées, muselées, assises sur une chaise roulante pour être conduites jusqu’à l’avion. « Je m’attendais à une atmosphère lourde et c’est un euphémisme », lâche tout de go Jean-Pierre Restellini, Président de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) et observateur à deux reprises récemment. « Même si certains de ces vols de degré 4 se passent relativement bien, ils sont souvent difficilement supportables. Il faut savoir que des gens peuvent hurler et se débattre pendant des heures. Notre commission a effectué l’observation de 7 de ces opérations ces 12 derniers mois. Pour quelqu’un qui n’a pas l’expérience de ce genre de situation, cela peut provoquer des émotions très fortes. »
 
Cinq observateurs
En juin dernier, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) a accepté le mandat d’assurer le contrôle de ces renvois pour une période pilote de 6 mois. Cinq observateurs ont été choisis. Parmi eux et aux côtés de Mario Annoni et Laurent Krügel, l’ancien directeur de l’établissement pénitentiaire de Wauwilermoos (LU), une professeure de droit et l’ancienne directrice de la police et des affaires militaires du canton de Berne. « Ces personnes ont été sélectionnées et engagées d’entente entre l’ODM, la FEPS et l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) », indique un communiqué de l’ODM. Mais aucune d’entre elles n’a l’expérience pratique de ces rapatriements forcés. Rencontré à Lausanne une semaine avant son premier vol, Laurent Krügel confie s’attendre à des moments difficiles, puisque l’exercice même de ce mandat consiste à observer l’opération depuis le moment « où l’on peut surprendre quelqu’un brutalement au réveil jusqu’à son arrivée dans son pays d’origine ». Mais ces renvois comportent « une couche légale et administrative dont on ne peut faire l’économie », estime-t-il.
« Il faut appliquer les décisions prises par la population, lui fait écho Mario Annoni. Il en va de la crédibilité de l’Etat. Les demandeurs d’asile déboutés sont des êtres humains qui ont souvent une biographie très difficile, qui ont connu des guerres, une misère sociale, certes, mais qui ne remplissent pas les conditions que la Suisse s’est fixée pour les accueillir en tant que réfugiés ou dans le cadre du regroupement familial, donc on les refoule. »
S’il mentionne avoir déjà assisté à Genève à un refoulement depuis le centre de détention jusqu’au tarmac, le Président de Pro Helvetia précise que son rôle consiste à observer le « comment » et non le « pourquoi » de ces opérations qui doivent rester « conformes aux droits de l’homme » et s’effectuer « dans le respect de la dignité des personnes concernées ».
 
Droits humains et dignité en question
Dignité. Un mot qui semble élastique et qui divise d’ailleurs fortement la population sur ce dossier précis.
Depuis que la FEPS a été mandatée pour effectuer ce monitoring, la CNPT a pris du retrait. « Mais nous restons en contact étroit pour que le travail d’observation évite les traitements inhumains ou dégradants », indique Jean-Pierre Restellini. Tout en ajoutant que la frontière entre ce qui est humain ou non, dégradant ou non, est difficile à établir : «  Il y a plus de 10 ans, le responsable de l’aéroport de Zurich avait dit qu’un vol de degré 4 était toujours inhumain et dégradant », commente notre homme, en ajoutant être préoccupé au plus haut point d’une chose : faire en sorte que la catastrophe de 2010, soit le décès d’un jeune Nigérian au cours d’un de ces vols, ne se reproduise pas. « Il y a des mesures à prendre d’urgence pour que les personnes placées dans cette situation de stress majeur puissent le supporter. Il faut donc notamment qu’un médecin puisse s’exprimer sur l’état de santé des personnes que l’on rapatrie. »
Gabrielle Desarzens 

  • Encadré 1: Mercredi sur les écrans romands
    Le film « Vol spécial » de Fernand Melgar s’affiche dès ce mercredi 21 septembre sur les écrans romands. Le ton est donné d’emblée par ces mots : « Chaque année en Suisse, des milliers d’hommes et de femmes sont emprisonnées sans procès ni condamnation. Pour la seule raison qu’ils sont sans papiers, ils peuvent être privés de liberté pendant deux ans avant d’être expulsés. La prison de Frambois à Genève est l’un des 28 centres d’expulsion pour sans papiers en Suisse. »
    Au bénéfice d’un visionnement du documentaire en avant-première, Jean-Pierre Restellini salue le travail du cinéaste : « C’est un excellent film. C’est ce dont nous avons besoin en Suisse, ce que nous devons montrer à la collectivité. »
    Ce qu’il faut que le spectateur retienne ? « Qu’il y a problème. Qu’on ne peut adopter des lois en matière de privation de liberté et d’expulsion sans savoir quelles en sont les conséquences pratiques. Ce genre de films doit se multiplier ! »
    Un regret ? « Il eût fallu entendre l’ODM, où il n’y a pas que des tortionnaires, je m’empresse de le dire », souligne encore le Président de la CNPT.
    Et puis une précision : « L’établissement de Frambois où les images sont tournées est l’un des meilleurs du pays en ce qui concerne les conditions de
    détention. Ailleurs, la police intervient parfois de nuit dans le cadre d’opérations de type commando en suscitant un effroi parmi l’ensemble des pensionnaires, que je vous laisse deviner. »
    G.D.
    Geordry, un Camerounais de 26 ans, est l’un des protagonistes du film de Fernad Melgar. Expulsé de Suisse par vol spécial, il a été emprisonné 5 mois à sa rentrée au pays et vit désormais caché à Yaoundé.
  • Encadré 2: Les chrétiens divisés
    « J’étais étranger, et vous m’avez renvoyé » : voilà la toute récente actualisation de la Bonne Nouvelle, version Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), s’est indigné Yves Brutsch, ancien porte-parole pour les questions d’asile au Centre social protestant de Genève. Outre le soupçon de trahir les valeurs de l’Evangile, on reproche à l’organe faîtière protestant de ne pas avoir consulté sa base et de cautionner les basses besognes de ce travail de refoulement.
    « Pour des sommes monstrueuses, avec lesquelles ont pourrait financer de nombreux projets d’intégration, on organise des vols spéciaux refoulant quelques humains désespérés dans une situation impossible, qu’ils vont fuir au plus vite, s’ils ne se font pas arrêter sur le champ », s’est de son côté étonné Pierre Bühler, professeur de théologie à l’Université de Zurich, dont les propos ont été relayés par l’agence de presse Protestinfo.
    Selon Walter Schmid, membre du conseil de fondation de l’Entraide protestante (EPER), le fait d’être aux côtés des réfugiés n’a toutefois jamais voulu dire, pour les Eglises, que tout demandeur d’asile doive se faire reconnaître la qualité de réfugié, ni qu’il faille lui accorder le droit de rester en Suisse.
    Et au porte-parole de la FEPS Simon Weber de rappeler que ce mandat d’observation ne contrevient pas à la tradition d’accueil des étrangers qu’a toujours pratiquée l’Eglise protestante. Et que, outre ses prises de position, l’organe faîtière continuera à s’occuper de coordination de services d’aumôneries auprès de demandeurs d’asile.
    G.D.
    En 2010, 5699 personnes ont été renvoyées par avion, dont 136 sous contrainte, sur 27 vols spéciaux. De janvier à juin 2011, 76 ont été renvoyées de force.
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