La nuit est déjà tombée. Quelques personnes sont montées jusque dans la salle sous le toit. Lumière tamisée, fauteuils confortables, l'aumônier Eliezer Martinez nous accueille. Puis il entre dans le vif du sujet : « Connaissez-vous les ateurs ? » La discussion commence au sujet des spectateurs, des commentateurs, des dictateurs, des agitateurs... Cela permet à chacun de réfléchir aux comportements humains. En fin de rencontre, l'aumônier mentionnera encore le réparateur des brèches dont parle le prophète Esaïe.
Père de famille de 52 ans, Eliezer Martinez est aumônier dans la Maison Béthel, à Blonay. « Je suis une sorte de lien entre tout le monde, explique-t-il. En psychiatrie, il est nécessaire de faire alliance avec le patient dans une distance adéquate et thérapeutique. L'aumônier s'inscrit dans une autre approche, mais qui renforce cette alliance thérapeutique pour la prise en soins du patient. »
Cette proximité se manifeste de toutes sortes de manières. Une fois par mois, l'aumônier arrive avec des croissants. En plus de l'écoute, il offre aux patients des cappuccinos, de l'aide pour faire fonctionner leur ordinateur, des promenades au village... « Cela détend l'atmosphère, crée du lien et donne aux pensionnaires un sentiment de reconnaissance qui leur manque souvent », explique-t-il.
Prudence et humilité
En entrant à l'aumônerie de Béthel, Eliezer Martinez a appris la prudence. Les problèmes de santé mentale que la psychiatrie qualifie de troubles sont parfois qualifiés de problèmes spirituels par certains chrétiens, voire d'œuvres démoniaques. S'il est difficile de faire la part des choses, tant « psy » et « spi » sont entremêlés, il est important de développer de solides compétences dans chacun de ces domaines, afin d'adapter son attitude à chaque patient.
« Dans beaucoup d'Eglises, on explique l'être humain en le séparant entre corps, âme et esprit, explique Eliezer Martinez. Mais la réalité est différente, plus complexe. Les composantes d'un être humain sont inextricables : tout influence tout ! De même, il n'y a pas de frontière étanche entre psychologie et foi : chacune a quelque chose à dire à l'autre. Fondamentalement, on ne maîtrise pas l'être humain et sa complexité. Cela nous pousse à l'humilité. »
A cette complexité s'ajoute le fait que les pensionnaires sont en situation de fragilité et de grande sensibilité, non seulement dans leurs relations avec eux-mêmes et avec les autres, mais aussi face à la spiritualité et aux religions. Comme les soignants, l'aumônier est donc contraint à beaucoup de prudence et de respect envers les patients, afin d'éviter de fausses pistes. Eliezer Martinez constate que son travail a changé sa perception des autres et a fait grandir deux sentiments en lui : la compassion et l'espérance.
« Beaucoup de malades ont des problèmes dus à des pertes relationnelles, constate-t-il. Je les encourage à rencontrer du monde dans une association ou, mieux, dans une Eglise. Beaucoup de gens auraient besoin d'une famille, de ne pas vivre seuls. » Et l'aumônier interpelle les Eglises : « Distribuer des tracts dans la rue, c'est bien ! Mais nous sommes entourés, plus près de nous qu'on pense, de personnes en souffrances, seules, marginalisées... et qui craignent les bancs grinçants autant que les discours moralisateurs. Parmi ces personnes, plusieurs sont prêtes à accueillir des visites ou à être reçues dans des foyers chrétiens, afin de pouvoir partager leur réalité. »
Claude-Alain Baehler