1Voyant les foules, il monta sur la montagne, il s'assit, et ses disciples vinrent à lui. 2Puis il prit la parole et se mit à les instruire :
3Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux !
4Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés !
5Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre !
6Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés !
7Heureux ceux qui sont compatissants, car ils obtiendront compassion !
8Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu !
9Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu !
10Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux !
11Heureux êtes-vous lorsqu'on vous insulte, qu'on vous persécute et qu'on répand faussement sur vous toutes sortes de méchancetés, à cause de moi.
12Réjouissez-vous et soyez transportés d'allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux ; car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
Il y a différentes manières de comprendre les Béatitudes, ces fameux « heureux » que Jésus a prononcés au début du Sermon sur la montagne (1). A la suite de John Wesley (2) et d’autres commentateurs de cette fameuse ouverture du Sermon sur la montagne, j’aimerais que l’on considère ces 8 heureux comme différents pas ou différents degrés dans la vie chrétienne. Il y aurait là le sommaire de tout vrai parcours de foi chrétien.
Aujourd’hui, parcourons ce chemin ensemble : de la pauvreté en esprit à la joie dans la persécution.
1. Heureux les « pauvres en esprit… » (v. 3)
Heureux les « pauvres en esprit ». On est bien d’accord là-dessus ! Jésus ne dit pas : « Heureux les pauvres »… Il dit : « Heureux les pauvres en esprit »… Il y a ce « en esprit » qui vient préciser le type de pauvreté dont il s’agit. « Heureux ceux qui se sentent pauvres dans leur esprit »… Heureux ceux qui se sentent spirituellement pauvres… Heureux ceux qui ressentent un manque dans leur vie… Heureux ceux qui constatent qu’ils sont en manque de Dieu dans leur existence. Ou pour reprendre une formule d’Augustin d’Hippone : heureux ceux qui prennent conscience qu’il y a en eux un vide en forme de Dieu !
Aujourd’hui, l’être humain cherche à combler son vide intérieur au travers de toutes sortes de moyens : la suroccupation et la course frénétique après les activités. Avoir du temps libre sans être actif est la source d’un sentiment de vide. Cela peut être à l’origine d’angoisses importantes. Tout à coup, on est face à soi-même et on se pose les questions fondamentales de l’existence : qui suis-je ? Où est-ce que je vais ? Quel est le sens de ma vie ?
L’acquisition de biens est aussi un moyen que de nombreux contemporains utilisent pour combler ce manque intérieur. En acquérant des biens et en se lançant dans la course à l’acquisition de biens, ils tentent de se rassurer intérieurement et d’assurer leur existence… et surtout d’oublier leur dépendance fondamentale à l’endroit de la vie et de Dieu. Jésus nous dit : « Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux ! »
Cet « Heureux les pauvres en esprit » est la première étape d’un parcours spirituel qui conduit au bonheur. Il y a là la reconnaissance du fait que nous avons fait faillite du point de vue spirituel. Nous sommes pécheurs et nous avons besoin de l’intervention de Dieu pour trouver la paix.
« Heureux les pauvres en esprit » sont donc les personnes qui reconnaissent leur vide en elles-mêmes, leur incapacité à mériter Dieu et qui se repentent de leurs péchés.
Aujourd’hui encore, le Royaume commence là où quelqu’un dit : « Seigneur, sans toi, je ne peux rien ! »
2. « Heureux ceux qui pleurent… » (v. 4)
Deuxième étape dans ce parcours de ceux qui cheminent dans la foi en Jésus-Christ, dans ce parcours que proposent les Béatitudes. « Heureux ceux qui pleurent… ». Comment peut-on être heureux quand on pleure ? En fait, il s’agit là de pleurs spécifiques… Il ne s’agit pas d’abord de pleurs liés à la perte de quelque chose de matériel ou à la perte d’un être cher. Non ! Après avoir pris conscience de notre pauvreté intérieure de la première béatitude et de notre incapacité à nous justifier face à Dieu, nous sommes saisis par la tristesse. Nous pleurons sur notre condition d’êtres humains incapables d’être dignes de Dieu. Nous nous lamentons sur notre condition de pécheur et sur la culpabilité qui est la nôtre.
Dans ce processus de conversion, nous allons plus loin dans la tristesse. Nous sentons que le péché, que le fait de continuer à nous montrer indignes de Dieu, est attaché à notre existence personnelle. Ce ressenti entraîne un désespoir sincère. Nous faisons l’expérience de ce chagrin de Dieu que l’on entrevoit lorsque Jésus pleure sur la ville Jérusalem (Luc 19.41-44) ou sur la mort de son ami Lazare (Jean 11.35).
Il y a des pleurs à avoir par rapport au péché de notre monde, par rapport à l’ultra-présence de la haine et de la violence parmi nos contemporains… par rapport à la réalité du mal et de la mort qui gangrènent chacune de nos existences.
A Jésus de dire à ceux qui connaissent cet état de profonde tristesse qu’ils seront consolés au travers du pardon gratuit que, lui, Jésus, il accorde. C’est au cœur de sa mission d’être « Dieu avec nous », Emmanuel. Et cela ressort tout particulièrement, lorsqu’il proclame à l’occasion de sa lecture du prophète Esaïe dans la synagogue de Nazareth : « 1Le souffle du Seigneur Dieu est sur moi, car le Seigneur m'a conféré l'onction. Il m'a envoyé porter une bonne nouvelle aux pauvres, panser ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur libération et aux prisonniers leur élargissement, 2proclamer pour le Seigneur une année de faveur et pour notre Dieu un jour de vengeance ; consoler tous ceux qui sont dans le deuil… » (Esaïe 61.1ss).
Dans son commentaire sur Matthieu 5.4, le théologien anglican John Stott souligne : « D’une certaine manière, le Christ verse un baume sur les ravages de la souffrance et de la mort que le péché propage dans le monde. En effet, la consolation du Christ ne sera complète qu'au dernier jour, quand dans la gloire finale le péché ne sera plus et que « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 7.17) » (3).
Ce deuil spirituel n’est donc pas du désespoir : c’est le commencement de la vraie joie, car Dieu console ceux qui reconnaissent leur besoin de pardon. « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ! »
3. « Heureux ceux qui sont doux… » (v. 5)
La troisième étape de ce parcours de foi auquel nous convient les Béatitudes, c’est la douceur. Il ne s’agit pas de comprendre la douceur comme le fait d’être faible ou de se laisser marcher sur les pieds. Non, la douceur dont il est question ici renvoie à l’apaisement qui naît de la rencontre avec le Christ. Après avoir découvert mon vide intérieur et mon péché, après avoir pleuré face à Dieu sur mes péchés et goûté à la consolation, la grâce de Dieu vient à ma rencontre et m’apaise. Je n’ai pas constamment à prouver aux autres ma supériorité, que je suis quelqu’un de bien. Je suis apaisé. Je peux être doux dans mes relations avec autrui, parce que je n’ai rien à prouver. Je sais que c’est le Seigneur qui est à l’origine de mon identité. C’est lui qui m’a sauvé et qui me sauve, donc je peux goûter à sa paix.
La nouvelle naissance chrétienne fait advenir un être humain renouvelé qui va chercher en Dieu seul son secours, son réconfort et son identité. Nous nous abandonnons à Dieu. Nous nous soumettons à lui et cela entraîne une dépendance nouvelle. Une dépendance non à notre être intérieur mis sous pression par la nécessité de satisfaire notre ego, mais une dépendance à un Dieu qui est amour. La douceur dont il est question dans cette Béatitude est un don de Dieu. Pour reprendre le langage de l’apôtre Paul, il s’agit d’un fruit de l’Esprit, d’un fruit du travail qu’opère en nous l’Esprit saint consolateur (Galates 5.22-23).
« Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre ! » A ceux qui se sont réconciliés avec le Seigneur, il leur est donné la terre en partage… En fait le salut leur est donné… Un monde nouveau leur est ouvert, qu’ils vont pouvoir habiter. A celui qui est sauvé, apaisé et donc doux, la nouvelle création de Dieu est offerte.
Au travers de sa démarche de prise de conscience et de repentance, le chrétien goûte à l’apaisement et s’en vient habiter une terre nouvelle, un monde nouveau : le Règne des cieux.
4. « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice… » (v. 6)
La faim et la soif sont deux besoins humains fondamentaux. Jésus dans sa description des différentes étapes du parcours chrétien précise qu’après la repentance, la tristesse par rapport à sa situation de péché et la douceur de l’apaisement, viennent la faim et la soif de la justice. « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice… » De quelle justice s’agit-il ? Il s’agit de cette justice que Jésus-Christ nous accorde lorsque nous nous confions en lui. « C’est par la grâce que vous êtes sauvés au moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu », nous dit l’apôtre Paul (Ephésiens 2.8) et la justice de Dieu est accordée à celui qui soupire après cette présence du Christ Sauveur.
Ce n’est pas la pratique religieuse qui rassasie ou qui désaltère. Ne pas faire de mal, faire le bien, s’abstenir de péchés extérieurs et aller à l’Eglise ne rassasient pas le cœur humain. Ce qui rassasie vraiment, c’est notre union avec le Christ. Cette proximité avec lui rassasie et désaltère notre être intérieur qui ne peut trouver consolation nulle part ailleurs. Parce que la justice dont nous avons besoin devant Dieu, notre justification, vient de Jésus. Elle nous a été acquise à la croix par Jésus qui fait offrande de sa vie pour le pardon de nos péchés.
« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés ! » Car leur cœur sera comblé.
Les quatre premières Béatitudes témoignent d’une progression. Est « Heureux » celui qui parcourt ce chemin de découverte de la foi en Jésus-Christ. Il découvre sa pauvreté intérieure devant Dieu. Il éprouve de la tristesse par rapport au péché qui l’habite. Il expérimente le contentement de recevoir le Christ et la justification qui lui est apportée par lui au travers de la foi. Dans les quatre béatitudes suivantes, l’accent se déplace de l’attitude du disciple face à Dieu à son attitude face à son prochain.
5. « Heureux les miséricordieux... » (v. 7)
La miséricorde ou la compassion, c’est la grâce en action. Celui qui a été pardonné peut pardonner à son tour. Il devient pardonnant. Celui qui a reçu l’amour gratuit, le répand autour de lui.
Être miséricordieux, ce n’est pas excuser le mal, mais se souvenir de la grâce reçue.
« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. » A tous ceux qui auront pratiqué la miséricorde et le pardon autour d’eux, Jésus annonce qu’ils bénéficieront du pardon, qu’il leur sera fait miséricorde.
6. « Heureux ceux qui ont le cœur pur… » (v. 8)
La pureté de cœur n’est pas une perfection extérieure, mais une unité intérieure. Un cœur pur, c’est un cœur sans duplicité : il cherche Dieu sans partage, il refuse le compromis. « Voir Dieu », c’est expérimenter sa présence déjà ici-bas, dans la prière, dans l’amour, dans la simplicité du quotidien.
« Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. »
7. « Heureux les artisans de paix… » (v. 9)
La paix dont parle Jésus n’est pas seulement l’absence de guerre. C’est la réconciliation : d’abord avec Dieu, ensuite entre les hommes. Comme conséquence du salut reçu en Jésus-Christ, le disciple ne se contente pas d’éviter les conflits ; il travaille à rétablir les relations brisées que ce soit dans l’Eglise ou dans la société.
Jésus dit par ailleurs qu’il est venu apporter le glaive et la séparation au sein des familles, mais cela n’empêche pas le disciple de vouloir vivre en paix avec tous les hommes (1 Pierre 3.11). Dans son épître aux Colossiens, l’apôtre Paul décrit l’action de Dieu au travers de Jésus comme une démarche de réconciliation : « Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude et, par lui, de tout réconcilier avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix par lui, par le sang de sa croix » (Colossiens 1.19-20).
« Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu », proclame Jésus. C’est ainsi que le disciple, fils de Dieu, ressemble à son Père céleste. En aimant son prochain du même amour qu’il a été aimé du Père, le disciple imite ce que son Père céleste fait et se monter digne de lui.
Samedi et dimanche prochains, nous accueillerons Salim Munayer, un citoyen israélien d’origine palestinienne qui travaille depuis plus de 30 ans à la réconciliation entre Juifs et Palestiniens via une ONG qui s’appelle « Musalaha », la réconciliation en arabe (3). Ce pasteur et théologien évangélique, ancien directeur académique du Collège biblique de Bethléem, a placé au cœur de son engagement cette promesse des Béatitudes : « être artisan de paix » dans un contexte impossible, dans un conflit qui a déjà occasionné des centaines de milliers de morts. Ce théologien interviendra mercredi dans le cadre de la Semaine pour la paix à Genève, une semaine organisée par des ONG impliquées à l’ONU… Il a accepté de poursuivre son séjour jusqu’au week-end pour nous permettre de l’entendre sur son expérience et de prier pour lui.
8. « Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice… » (v. 10)
Jésus déclare heureux ceux qui font l’expérience de l’hostilité à cause de la justice ou à cause de son nom. Se profiler dans ce monde comme disciple de Jésus, habité par un souci de justice dans la société, entraîne des résistances et parfois de l’hostilité ou de la persécution. Dans des pays totalitaires ou dans des pays à régime autocrate, rechercher la justice et un traitement équitable pour tous vient contester la légitimité de l’autorité. Deux systèmes de valeur s’opposent et l’hostilité peut monter à l’endroit des disciples de Jésus.
A ceux qui sont ainsi méprisés, rejetés ou calomniés, Jésus promet sa récompense : la possession du Royaume de Dieu, l’entrée dans son salut, dans sa joie.
« Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux ! »
***
Ces huit Béatitudes dessinent le chemin de la grâce qui se fraie un sentier dans nos vies. Elles indiquent par là même la carte d’identité du chrétien. Voici le parcours de foi du chrétien :
- Reconnaître son besoin (pauvre en esprit),
- Se repentir (pleurer),
- Goûter à l’apaisement (douceur),
- Désirer Dieu (faim de justice),
- Agir avec compassion (miséricorde),
- Vivre dans la transparence (pureté),
- Semer la réconciliation (paix),
- Et persévérer malgré les oppositions (persécution).
Ce chemin n’est pas réservé à quelques saints : il est proposé à chacun-e de nous. Chaque Béatitude est une promesse : le Christ veut faire naître en nous ce chemin de la grâce et former en nous ce portrait des citoyens du Règne des cieux.
Amen !
Notes
1 La compréhension des Béatitudes, de cette extraordinaire ouverture du Sermon sur la montagne, se répartit entre divers interprètes qui font leur choix de compréhension selon les destinataires envisagés.
Certains, pas nécessairement chrétiens, liront ces « heureux » comme s’adressant à tout le monde et verront dans ces Béatitudes de bons conseils de vie de Jésus à pratiquer.
D’autres interprètes considèrent, en s’appuyant sur le contexte historique de la proclamation de ce discours, que Jésus s’adresse aux disciples comme à la foule (Christophe Paya…). Par conséquent, les « heureux » visent un peuple meurtri par l’occupation romaine, qui a besoin d’être relevé parce qu’humilié, affligé, contraint à la douceur passive… auquel Jésus fait des promesses de rétablissement.
D’autres commentateurs considèrent que ces « heureux » s’adressent uniquement aux disciples de Jésus qu’il a déjà appelés au chapitre 4 ou à des membres de la foule sur le point de devenir disciples. Il y aurait là une sorte de portrait du disciple ou du citoyen du Royaume des cieux (John Stott, Christophe Paya, R.T. France, Claude Baecher, Pierre Bonnard…).
Parmi les interprètes qui considèrent que les Béatitudes ne s’adressent qu’aux disciples de Jésus, il y a aussi ceux qui considèrent ces « heureux » comme un chemin qui permet de s’examiner soi-même et de se repentir là où il y a besoin (John Miller…). De son côté, John Wesley considère que Jésus dresse devant nous le parcours-type de celui qui devient chrétien : il se repent, goûte à la joie du salut, puis façonne son existence en fonction des quatre dernières Béatitudes.
Le comte Nicolas de Zinzendorf considère, quant à lui, qu’il faut voir dans les Béatitudes la charte de l’Eglise locale, de la communauté que Jésus est en train de créer.
Une dernière catégorie d’interprètes considère que le portrait qu’esquissent les Béatitudes est le portrait de Jésus. Cette lecture est souvent précédée d’une autre que l’on trouve parmi celles qui ont été esquissées plus haut.
2 John Wesley, Le Sermon sur la montagne expliqué dans une série de discours, Paris, Librairie évangélique, 1857, p. 13-14.
3 John Stott, Matthieu 5-7 : le Sermon sur la montagne, Lausanne, PBU, 1987, p. 36.
4 Salim J. Munayer (éd.), Journey Through the Storm, Lessons from Musalaha Ministry of Reconciliation, Carlisle, Langham Global Library, 2020, 198 p.