«Jouisseurs et vertueux renvoyés dos à dos!», une prédication sur la parabole du fils prodigue en lien avec une toile de Rembrandt

« Le retour du fils prodigue » (Rembrandt)
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Serge Carrel vendredi 19 janvier 2024

En lien avec l’exposition « Rembrandt et la Bible » au Musée international de la Réforme à Genève (1), l’Eglise évangélique de la Pélisserie et le FREE COLLEGE proposent une série de cultes où les toiles ou les eaux fortes de Rembrandt sont utilisées en soutien à la prédication. Serge Carrel propose ici une prédication sur la « Parabole du fils prodigue » (Luc 15.11-32) portée par la toile « Le retour du fils prodigue » de Rembrandt, qui se trouve au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg (Russie) (2).

Au travers de la parabole du fils prodigue (Luc 15.11-32), ou des deux fils comme elle est appelée parfois, Jésus dessine les deux voies principales que les êtres humains empruntent pour connaître le bonheur et l’épanouissement. Vous avez d’un côté le jouisseur et de l’autre le vertueux.

Le fils cadet, le jouisseur, s’empare de sa part d’héritage pour jouir de la vie et en profiter au maximum. Selon cette vision du monde, chaque individu doit être libre de profiter de l’existence et de poursuivre ses objectifs de réalisation personnelle. Le frère cadet ne ménage pas son père. Il demande sa part d’héritage et rompt tout lien avec lui en se rendant à l’étranger. Il rompt les amarres non seulement avec la figure paternelle, mais aussi avec les valeurs familiales qui lui ont été inculquées, en dilapidant ses biens de manière peu avisée.

Lorsqu’on regarde le tableau de Rembrandt « Le retour du fils prodigue », on a le cœur du récit de la parabole résumé en une toile : le père, les mains étendues, accueille son fils cadet, et, dans la même scène, le fils aîné, du haut de sa stature imposante, considère d’un regard distant ce qui est en train de se passer…

 

Le fils prodigue, c’est Rembrandt !

A la fin de sa vie dans les années 1660, le peintre hollandais Rembrandt peint cette toile : « Le retour du fils prodigue », qui se trouve actuellement au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg en Russie (3). Pour plusieurs spécialistes de la peinture et de la vie de cet artiste, au travers de cette toile, Rembrandt résume son parcours de vie. Arrivé au terme de son existence – il meurt en 1669 –, ce peintre affirme par cette toile qu’il goûte à l’accueil des bras du Père et qu’il s’est réconcilié avec Dieu. Rembrandt se projette dans ce fils prodigue qui est en train de bénéficier de l’accueil miséricordieux du Père.

Rembrandt naît en 1606 à Leyden aux Pays-Bas… Ses parents, meuniers, aimeraient qu’il fasse des études, mais lui se destine plutôt à la peinture. Il va apprendre le métier de peintre dans l’atelier d’un maître à Amsterdam. Là, il découvre l’art de la peinture et de la gravure. Il se met à peindre la Bible en y cherchant des récits extraordinaires à illustrer : Samson, la résurrection de Lazare… avec souvent, comme les artistes baroques de son temps, une mise en avant de l’harmonie du corps humain et de la beauté de ses formes. La Bible apparaît souvent comme un prétexte pour montrer les capacités de l’artiste à réaliser des toiles en conformité avec les normes esthétiques de son temps.

En 1634, Rembrandt épouse Saskia van Uylenburgh, la fille d’un riche marchand d’art d’Amsterdam. Dans les toiles que peint Rembrandt, on perçoit qu’il mène grande vie et que l’argent coule à flots (4), ce qui lui donne l’occasion d’acheter nombre de toiles ou de gravures qui lui permettent d’étoffer sa culture artistique.

 

Progressivement dans l’abîme !

Son épouse meurt en 1642, après huit ans de mariage, et laisse à Rembrandt un fils, Titus, âgé d’une année. C’est le début d’une période difficile pour le peintre. Dans l’impossibilité de se remarier, parce que, s’il le faisait, il devrait rembourser à sa belle-famille une bonne partie de l’argent que sa femme a apporté dans le ménage commun, il s’amourache des gouvernantes qui travaillent pour lui et sa situation personnelle se détériore du point de vue économique.

Néanmoins, durant cette période, Rembrandt est à la recherche d’une nouvelle manière de peindre. Il cherche un langage pictural discret et indirect, qui s’adapte aux réalités spirituelles qu’il est en train de découvrir. Du point de vue chrétien, Rembrandt est proche des milieux réformés par sa famille, mais il est aussi en contact avec des milieux mennonites de la région d’Amsterdam, des milieux évangéliques pourrait-on dire. Ce qu’il importe d’avoir à l’esprit, c’est qu’il est en chemin du point de vue spirituel. Il apprend à lire la Bible non pas seulement pour l’utiliser comme prétexte à son activité de peintre, mais comme parole de Dieu afin d’y découvrir des trésors pour sa vie intérieure.

A partir de 1648, Rembrandt commence vraiment à manquer d’argent. Il a trop dépensé pour agrandir sa collection d’œuvres d’art et les commandes pour ses propres activités artistiques se font rares. En 1656, il est acculé à la faillite et il doit vendre ses biens.

 

Une compréhension profonde de la Bible

Pendant cette période, Rembrandt développe une compréhension profonde des Ecritures. Il souhaite traduire en images les grands moments de l’histoire de la Bible. Un de ces grands moments de l’histoire biblique, c’est la parabole du fils prodigue et la découverte que l’être humain s’est éloigné du Père céleste et qu’il a besoin d’un retour sur soi, d’une conversion intérieure pour retrouver le chemin de la maison. Et là de manière extraordinaire, on découvre que l’on est attendu, que le Père a scruté constamment l’horizon pour entrevoir notre silhouette et que nous étions de retour.

Regardez les vêtements du père et comparez-les à ceux du fils. Le père est vêtu de vêtements somptueux et le fils est en guenilles. Ses chaussures sont en piètre état. Sa chaussure droite a la semelle trouée. La gauche ne lui tient plus au pied. Ce qui est aussi particulièrement signifiant, ce sont les mains du père. Certains spécialistes voient dans ces deux mains une main gauche aux traits masculins et une main droite aux traits féminins, comme pour relever que c’est bien le père qui accueille, mais que l’accueil est comparable à celui d’une mère, compatissant et miséricordieux au travers de cette main aux allures plus féminines.

Le jouisseur qu’est le fils cadet, le jouisseur qu’est Rembrandt est allé au bout de lui-même. Il a réalisé que sa quête ne lui amenait pas le bonheur attendu. Au fond de sa détresse, alors qu’il garde des cochons en étant affamé, le fils cadet goûte à la nostalgie de la maison du père. Il se repent et revient à la maison. Et là de manière très surprenante, il bénéficie d’un accueil extraordinaire. Le père l’embrasse, l’étreint. Il va aller chercher de nouveaux vêtements, une nouvelle alliance, de nouvelles chaussures afin d’exprimer pleinement au fils cadet son pardon et sa réintégration au sein de la famille.

 

Une parabole d’abord pour les fils aînés !

Souvent dans notre lecture de la Bible, on valorise le retour du fils prodigue, du fils qui s’est montré extraordinairement alerte pour dépenser son héritage… Mais en fait, si on y regarde de près, la parabole s’intéresse aussi au fils aîné. Et on peut penser que, dans sa stratégie de communication au vu du début de Luc 15, c’est le ou les fils aînés que Jésus vise : les pharisiens assistent à la proclamation du Royaume de Dieu en paroles et en actes pour tous les fils et les filles perdus d’Israël.

A l’époque de Jésus, les pharisiens incarnaient un conformisme social et se voulaient extraordinairement respectueux de l’ordre moral en observant de manière très stricte les commandements de la Bible. Leur salut dépendait de cette observance méticuleuse et ce n’était qu’à force de se montrer vertueux qu’ils pouvaient obtenir l’approbation de Dieu.

Le frère aîné est resté toute sa vie auprès de son père. Il s’est montré extraordinairement vertueux et respectueux des normes en vigueur dans sa famille. Et dans le tableau de Rembrandt, le fils aîné assiste à l’accueil du fils par le père. Il est la personne qui domine de par sa stature et de par le regard condescendant qu’il jette sur son frère, repentant, blotti dans le sein de son père. Le fils aîné a les mêmes habits que son père, c’est dire un statut de figure de référence dans la maison. Il croise les bras et toise ce frère qu’il n’appelle plus frère mais : « le fils de son père ». Il a bonne conscience. Il est dans son bon droit et considère que ce « fils de son père » qui a dilapidé sa part d’héritage n’a pas à réintégrer la maison familiale. C’est un propre juste, un humain conscient de sa valeur, d’une valeur qui dépasse largement celle du fils cadet.

Le jouisseur et le vertueux, c’est sous forme résumée les deux conceptions de la vie que l’on découvre dans cette parabole et que l’on rencontre aujourd’hui encore. Dans notre société, vous avez des gens qui se laissent conduire par le matérialisme ambiant et qui jouissent d’une consommation effrénée. Ce sont les jouisseurs ! Vous en avez d’autres qui se montrent respectueux des formes, des usages et d’une certaine éthique. Ils sont même très portés sur une consommation équitable et écologique. Ce sont les vertueux. Or dans cette parabole des deux fils, Jésus montre que ces deux formes de vie qui prétendent faire leur salut par elles-mêmes sont toutes deux des chemins sans issue. Il indique une troisième voie, radicalement différente, en ouvrant à une redéfinition de ce qu’est le péché.

 

Une redéfinition du péché

La plupart de nos contemporains pensent que pécher ou commettre un péché, c’est ne pas respecter certaines règles de conduite. Jésus, tout comme l’apôtre Paul, propose du péché une définition beaucoup plus profonde. Le fils aîné a une vie très morale, mais le problème c’est qu’il utilise ce haut standing moral pour exiger des choses du père. Il estime avoir des droits sur Dieu pour que celui-ci lui accorde sa faveur. Il n’a nul besoin de la grâce de Dieu, parce que son salut dépend de lui-même.

Les gens vertueux mènent souvent une vie tout ce qu’il y a de plus honorable du point de vue moral, mais le problème c’est que leur moralité leur permet de revendiquer un statut auprès de Dieu. Ils ont de quoi, dans leur vie, s’autojustifier face à Dieu. Leur estime d’eux-mêmes, leur orgueil les fait exister devant le Seigneur et leur fait espérer un bénéfice. Ils peuvent se passer d’un Jésus sauveur et donc de la grâce dont tout être humain a besoin pour être réconcilié avec Dieu.

Il y a donc deux façons pour nous d’être notre propre Sauveur et Seigneur : transgresser toutes les règles morales et accomplir nos propres désirs, ou respecter toutes les règles morales et revendiquer un statut particulier devant Dieu. Jésus ne sépare pas le monde entre les bons et les méchants, entre les « bons vertueux » et les « mauvais jouisseurs ». Il montre que chacun, au travers de son parcours de vie, acquiert le sentiment de son importance personnelle et de sa propre valeur. Et que, ce faisant, il n’est pas au bénéfice du pardon de Dieu.

 

Tous invités à entrer dans la fête, par grâce !

Le message de Jésus, l’Evangile, est une spiritualité totalement différente des autres. Ce n’est pas une question de religion ou d’absence de religion, de moralité ou d’immoralité, de moralisme ou de relativisme. C’est quelque chose de radicalement différent. Selon l’Evangile de Jésus-Christ, nos chemins de salut sont vains. Ils sont sans issue pour obtenir quelque chose de la part de Dieu. Nous avons tort, mais nous sommes, malgré tout, aimés de Dieu. Nous avons tort et, si nous reconnaissons que nos chemins sont sans issue, et que nous avons besoin de la grâce de Dieu, du pardon qui nous est acquis à la croix par Jésus-Christ, alors nous pouvons goûter, nous jouisseurs ou vertueux, à cet accueil de Dieu et à son salut.

Rembrandt a bien perçu cela dans sa toile « Le retour du fils prodigue ». Le Père accueille le fils repentant et il propose au fils aîné de reconnaître qu’il a aussi besoin du pardon pour entrer dans la fête qui se déroule dans la maison du Père. Le fils prodigue, c’est Rembrandt, c’est toi, c’est moi, un être humain qui a besoin de se repentir de son péché… Mais parfois, le fils aîné, c’est aussi nous : un être humain tellement convaincu de sa valeur et de son bon droit qu’il n’a nul besoin d’être sauvé par Dieu !

Au moment de sa mort, Rembrandt peignait une nouvelle fois une scène de l’évangile de Luc au chapitre 2 : l’accueil de Jésus au temple par Siméon (5). C’était sûrement pour lui une manière de confesser au terme de sa vie : « Maintenant, ô maître, tu as réalisé ta promesse : tu peux laisser ton serviteur aller en paix. Car j'ai vu de mes propres yeux ton salut, 31ce salut que tu as préparé devant tous les peuples » (Luc 2.29-30).

Amen !

Serge Carrel

 

Notes
1 Plus d’infos sur cette exposition temporaire et sur la journée spéciale du 4 février organisée par le FREE COLLEGE, la formation d’adultes de la FREE, et l’Eglise évangélique de la Pélisserie.
2 Cette prédication a bénéficié très largement de la lecture et de reprises des livres suivants :

  • Tim Keller, Le Dieu prodigue. Revenir au cœur de la foi chrétienne, Romanel-sur-Lausanne, La Maison de la Bible, 2003.
  • A. Visser t’Hooft, Rembrandt et la Bible, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1947.
  • Miroslav Volf, Exclusion & Embrace, A Theological Exploration of Identity, Otherness, and Reconciliation, Nashville, Abingdon Press, 1996.

3 Voir le tableau de Rembrandt : « Le retour du fils prodigue ».
4 Voir la toile « Le fils prodigue à la taverne » ou « Autoportrait avec Saskia » (1636).
5 Voir la toile « Siméon au temple » (1669).

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