Gabrielle Desarzens : la rédaction de « Parole aux pauvres » ne l’a pas laissée indemne !

lundi 08 décembre 2008

Elle a passé son été 2008 avec 27 bénéficiaires de l’aide au développement de 24 ONG helvétiques au travers de la rédaction du livre "Parole aux pauvres". La journaliste Gabrielle Desarzens nous dit ici en quoi cette expérience l’a marquée. En quoi le face à face avec des personnes aidées bouleverse et en quoi elle a pris conscience qu’un autre monde émerge... par îlots, selon son expression !

« Le monde est un village globalisé, écrit la Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey en préface aux 27 témoignages recueillis dans le livre « Parole aux pauvres ». Les distances qui séparent les humains sont devenues relatives et le temps se mesure à l’aune de l’instantanéité. Chacun est en contact quasi permanent avec la planète entière et les nouvelles qui font l’actualité pénètrent instantanément, du moins virtuellement, dans les foyers les plus reculés des villages les plus isolés de la Terre. »

Yasmine, une trajectoire de vie qui bouscule
Effectivement... et inversement : j’ai reçu, Yasmine, ta trajectoire de vie en pleine figure en ce début d’été 2008. Après avoir été brûlée au torse et au cou par une lampe à pétrole à l’âge de 6 ans, tu as développé des rétractions qui te tiraient le visage vers le bas. Six opérations successives t’ont permis de relever la tête. « Avant cela, je n’arrivais plus à regarder les gens en face et on avait peur de moi en me voyant », témoignes-tu. La première fois que j’ai lu ton histoire, je me suis imaginée la douleur d’abord, et puis la tristesse que tu as connues. Le désarroi, ensuite, de ne plus pouvoir jouer avec les filles de ton village, au Bangladesh. Et enfin la honte de te sentir tellement différente et de ne plus parvenir à retrouver tes marques au quotidien.
J’ai voulu mettre des mots sur les causes et les conséquences d’un tel accident. J’ai alors recherché des informations sur ton pays, où le fossé entre riches et pauvres se creuse toujours davantage ; j’ai appris que la moitié de la population vit dans une pauvreté alarmante. « Les Bangladais se démènent d’abord pour trouver de quoi manger, c’est une lutte de tous les instants », m’a-t-on expliqué. J’ai écrit cela aussi. Pour qu’on saisisse bien combien l’accès aux aliments – si difficile – rythme ta vie et celle de tes proches.

La rencontre d’autres rescapés
Le livre qui contient ton histoire vient de paraître, Yasmine. Sa rédaction n’a été ni un périple culturel, ni un voyage humanitaro-touristique. Toi donc, Yasmine, mais aussi François, Karma et tant d’autres… Au fil de la rédaction de cet ouvrage, j’ai rencontré des personnes rescapées, comme toi, de situations particulièrement difficiles et qui tenaient à rendre compte de la façon dont elles avaient pu s’en sortir. Parfois avec brio, en s’appuyant sur un nouveau réseau de solidarité qu’elles ont elles-mêmes mis en place. Je pense à Lucien, dont la vie a changé subitement à 27 ans, après un accident de la route qui lui a coûté la vue. « Quand on perd la vue, on perd toute son identité, on n’est plus personne », a-t-il raconté. Les personnes handicapées, au Burkina Faso, sont isolées, poussées à la mendicité. Et puis, Lucien, tu as rebondi. En te lançant d’abord dans un commerce de porcs. Et, grâce à l’apprentissage du braille, tu as nourri de nouveaux projets et tu es devenu acteur de changements positifs dans la vie des aveugles et malvoyants du pays. 
Comme Yasmine, il t’a fallu redresser la tête, retrouver confiance en toi, t’affirmer dans une identité retrouvée. Et cela a porté du fruit : tu as fondé une association avec laquelle collabore aujourd’hui le gouvernement de ton pays.

Vivre solidaires dans un monde globalisé
C’est cela que j’ai appris au cours de la rédaction de cet ouvrage : comment vous, qui avez connu des moments de grande détresse ou de précarité extrême, êtes parvenus à donner le tour, à redonner du sens à votre vie à partir d’une rencontre, d’une aide concrète, qu’il s’agisse d’un acte chirurgical, d’un cours d’alphabétisation ou d’un microcrédit. Et comment, dans ce monde globalisé, on est appelé à vivre ensemble. Pas de façon cloisonnée, mais en portant son regard sur l’autre, en s’interrogeant sur ses besoins à lui, mais aussi sur ses propres besoins, sur ses manques, et sur l’enrichissement possible si on risque la relation. Par delà les frontières et les politiques, c’est le défi de vos histoires : que chaque lecteur parvienne à vous rencontrer, à comprendre qui vous êtes et quelles ressources vous avez su mobiliser pour reprendre votre vie en mains.

Un autre monde émerge... par îlots
Le livre est sorti. Alors qu’il était sous presse, la crise financière s’est abattue sur l’Occident. Celle-ci a un grand mérite : on voit les gouvernements être capables de se lever d’un coup et parvenir à insuffler des milliards pour une cause qu’ils estiment juste, soit la sauvegarde du système économique. Peut-être arriveront-ils un jour à se mobiliser en faveur de davantage de solidarité Nord-Sud, de davantage de solidarité entre pauvres et nantis. En attendant, à chacun de s’interroger et de faire valoir ses compétences et responsabilités. En vue d’un monde plus juste, plus humain. Ce n’est pas un rêve puéril : les 27 témoignages de ce livre démontrent justement qu’il existe déjà... par îlots.

Gabrielle Desarzens, auteure de "Parole aux pauvres"

Lire une présentation de "Parole aux pauvres"

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