Pendant mes vacances, je déchire la semelle de mes chaussures de sport. Le lendemain, je trouve de quoi les remplacer: 12 euros la paire... 20 francs! Combien gagne la grande surface? Combien a coûté le transport depuis l’Extrême-Orient? Quel bénéfice fait le fabricant? Combien gagnent ses ouvriers et combien d’heures travaillent-ils? D’où viennent les matières premières?
Ce questionnement concerne beaucoup de produits. Et ce n’est pas un problème de prix: si j’avais acheté des chaussures à 50 euros, les réponses seraient les mêmes. Quelle est ma responsabilité dans ce système? C’est une question à la mode... mais en tant que chrétien, ai-je une responsabilité particulière?
Penser de manière biblique
Dans Matthieu 20.1-16, Jésus raconte une parabole: le Royaume des cieux ressemble à un maître de maison qui embauche des ouvriers dans sa vigne. Cet homme, aujourd’hui, est entrepreneur. Il possède une vigne d’où il tire son revenu. Pour s’en occuper, il a besoin d’ouvriers. Alors il embauche les ouvriers qui sont là en se mettant d’accord sur le salaire. Le verbe grec traduit par «convenir» contient le sens d’être d’accord ensemble. Pas de sous-enchère salariale, on sait que ce salaire permettra aux ouvriers de vivre.
Au cours de la journée, l’embauche continue: à la 3e heure, à la 6e, à la 9e et enfin à la 11e... Mais avec ceux-ci, il ne convient de rien. Quand on n’a pas été embauché tôt, on ne peut rien exiger: ils seront contents avec le peu qu’ils recevront! A cette époque, il n’y a pas d’assurance chômage. Arrive la fin de la journée. Et là, surprise! Le salaire est le même pour tous. Les derniers embauchés sont très contents... les premiers un peu moins!
L’enseignement du maître de maison
Tirons quelques principes du comportement du maître:
• Il joue un rôle social. Il donne du travail, ce qui permet à des hommes et leur famille de vivre dans la dignité.
• Il vise l’équité. Il donne un salaire juste. Avec les premiers, il trouve un accord. Ceux venus plus tard auront le même salaire, car ils doivent vivre de la même manière. Pas de salariés dont le salaire ne permet pas de vivre!
• Il partage sa richesse. Il paye plus que ce qu’il devrait. Il n’est pas motivé par l’appât du gain, ni par l’enrichissement à tout prix.
Ce texte peut-il dire quelque chose à ceux qui ne sont pas des patrons d’entreprise? Nous sommes tous des consommateurs. A ce titre, nous avons une certaine influence sur les conditions de vie des ouvriers.
Consommer, un mode de vie
La consommation consiste à faire un usage des choses qui les détruit ou les rend inutilisables. La consommation, telle qu’elle s’est développée en Occident, est responsable de la part prépondérante de la dégradation de notre environnement. Elle est un facteur majeur de l’appauvrissement d’une part importante de l’humanité.
La société de consommation est une société dans laquelle le système économique pousse à consommer des produits, des objets, des expériences, dans les secteurs qui sont les plus profitables. Cette société incite ses membres à plus consommer: c’est un mode de vie. Cela fonctionne comme une idéologie qui imprègne les pensées, les désirs, les comportements et les relations. Cette puissance asservit: c’est une des facettes de Mammon, la puissance de l’argent. Jésus nous a avertis: on ne peut servir Dieu et Mammon (1).
Eglise et société de consommation
L’Eglise a-t-elle un rôle particulier à jouer? Comment se comporter dans cette société? Pour tenter d’apporter quelque réponse, discernons quels sont les éléments qui caractérisent la société de consommation:
(1) Le plaisir. On consomme de moins en moins par besoin ou nécessité. Observez à quel point la publicité joue sur ce tableau: faites-vous plaisir, consommez!
(2) L’immédiateté. Tout est fait pour satisfaire le désir immédiatement: Internet, carte de crédit, c’est fait. Vous n’avez pas d’argent? Pas de problème: crédit, payement échelonné, prêt, rien ne doit vous empêcher de consommer.
(3) L’insatiabilité. Toujours plus, toujours mieux, toujours du nouveau! Vous avez une télévision à écran plat de 70 cm, pour l’Eurofoot il vous faut 90 cm!
(4) La désinformation. On coupe le lien avec l’origine du produit, l’usine et le producteur, de façon à ne pas éveiller la mauvaise conscience du consommateur.
Ces comportements sont en opposition avec l’enseignement de l’apôtre Paul:
(1) Le plaisir s’oppose à l’effort, à la fidélité, voire à l’amour.
(2) L’immédiateté s’oppose à la patience et à la maîtrise de soi.
(3) L’insatiabilité est proche de la convoitise, et le contraire du contentement.
(4) La désinformation nie la justice.
Pour de nouveaux comportements!
«Mais voici le fruit de l’Esprit: amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi; contre de telles choses, il n’y a pas de loi. Ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs» (2).
Historiquement, on retrouve deux types de comportements dans l’Eglise:
• La conformité au monde. Le chrétien n’a pas à se faire remarquer par son mode de vie, pour ne pas heurter ou se discréditer.
• La séparation d’avec le monde. C’est une attitude radicale de prise de distance avec la société, «facile» à légitimer Bible en main...
Le radicalisme de ces deux positions pose problème. Le Christ nous appelle à être dans le monde sans être du monde, mais comment le vivre dans notre société contemporaine? Jésus n’appelle pas à se retirer entre croyants à l’écart de la société. Dans plusieurs milieux chrétiens, face à la société de consommation, est née l’idée de la sobriété comme expression d’une spécificité chrétienne. La sobriété est proche de ce que Jésus a enseigné.
Un style de vie prophétique
Comment développer un tel style de vie? Je le résume en trois mots: non, moins, autrement. Trois réponses qui expriment la non-conformité. Elles ne s’opposent pas, elles se complètent.
«Non», c’est le refus de consommer certains produits ou expériences. Cela peut être ponctuel (le jeûne de certains aliments, du téléphone portable) ou durable. On peut renoncer à des habits produits par le travail des enfants, on peut éviter de consommer en hiver des fruits ou des légumes d’été cultivés à l’autre bout du monde.
Moins consommer, c’est limiter les transports, partager certains appareils, emprunter lors de besoins ponctuels. C’est examiner avec sagesse nos soi-disant besoins, éviter le gaspillage et nous opposer à l’extravagance. Par exemple, avoir un véhicule plus petit, conserver un appareil qui fonctionne encore mais qui n’est pas à la dernière mode.
Consommer autrement, c’est être attentifs lors de nos achats. Par exemple, acheter des produits locaux, participer au commerce équitable, choisir des équipements moins gourmands en énergie et moins polluants.
Et mon ego?
Sommes-nous prêts à faire ce type de choix? Ce n’est pas sans conséquences... Refuser de consommer ou moins consommer touche à notre statut social... et donc à notre ego! Il faudra supporter la comparaison, le regard des autres. C’est se priver de certaines choses! Consommer autrement touche notre porte-monnaie. Cela va freiner notre course au moins cher, aux prix bas. C’est aller à contre-courant de la société. En payant le juste prix, nous renonçons aussi à une part de nos richesses. Ne vaudrait-il pas mieux payer un juste prix que de faire des dons pour lutter contre la pauvreté?
Nous ne résoudrons pas, à nous seuls, tous les problèmes de la planète. Mais en tant que chrétiens, nous ne pouvons pas faire comme si la pauvreté n’existait pas, comme si notre consommation n’avait aucune incidence sur la vie d’hommes, de femmes et d’enfants, comme
si elle ne contribuait pas à la dégradation de notre environnement.
Consommer juste... un défi!
Ma manière de consommer reflète-t-elle quelque chose de l’enseignement de Jésus? Elle devrait montrer que nous sommes libres, en fait libérés, de l’asservissement qui tient beaucoup de nos contemporains. Témoignons, en prenant de la distance avec la logique de notre société! Cette spécificité doit être visible: il s’agit d’actions, de comportements, de conduites, d’actes et pas seulement d’une différence intérieure. C’est le défi à relever!
«Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux» (3).
Gérald Cavin